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Proche-Orient Le processus d'Oslo était condamné à l'échec , globservateur

June 2013



En septembre 1993,  Yitzhak Rabin et Yasser Arafat signaient à Camp David les accords d’Oslo, censés conduire à la paix entre Israël et les Palestiniens.

Vingt ans après, la Palestine n’existe que sur le papier, son territoire est toujours occupé par l’armée israélienne et par un nombre sans cesse croissant de colons juifs. 

Le philosophe Sari Nusseibeh, président de l’université Al-Quds (palestinienne) de Jérusalem, explique pourquoi Oslo était condamné à l'échec.

Auteur en 2002 d'un plan de paix avec l'ancien chef du renseignement israélien, Ami Ayalon, l'intellectuel palestinien préconise désormais d’en passer, au moins temporairement, par une solution à un seul Etat.

 

 Entretien

 Vingt ans après les accords d’Oslo (1993), quel regard portez-vous le processus de paix israélo-palestinien ?

Oslo fut un tournant important, la concrétisation d’un changement d’état d’esprit. Jusqu’à ce moment-là, l’idée même de réconciliation ne faisait pas partie du discours, ni du côté palestinien, ni du côté israélien. Maintenant, si l’on se rapporte à nos espoirs d’alors, c’est un rêve brisé.

 

Ces accords n’ont débouché ni sur un traité de paix, ni sur un Etat palestinien. A qui la faute ?

 Je comparerais Oslo à un nouveau-né auxquels ses parents, ses deux parents –aussi bien les dirigeants israéliens que palestiniens- n’ont pas apporté l’affection nécessaire à sa croissance. Conséquence : le bébé est mort.

Je pense que l’intention était sincère, que personne n’avait l’intention d’embobiner l’autre, que Rabin et Arafat avaient à cœur de mettre ces accords en œuvre.

Puis l’enthousiasme s’est peu à peu perdu à mesure que l’on entrait dans les détails fastidieux. Les négociations sont devenues un jeu théorique. Chacun a commencé à vouloir être plus malin que l’autre.

 

 Les torts étaient donc partagés…

 Nous avons commencé à perdre confiance dans les Israéliens parce que rien ne changeait sur le terrain : l’armée d’occupation continuait de nous maltraiter, la colonisation de nos terres s’accélérait… Il n’y a eu aucun signe visible que les choses changeaient.

Les Israéliens ont commencé à douter parce qu’ils savaient qu’en parallèle, on importait des armes en secret. Ils ont pensé que nous n’étions pas sincères.

Arafat était sincère… mais il voulait garder toutes les options, car il n’était pas absolument certain d’aboutir à un accord honorable.

 

L’échec était inscrit dans les accords d’Oslo ?

 Rétrospectivement, oui. Ils avaient un défaut congénital : ne pas indiquer, dès le départ, à quoi ressemblerait le tableau final. Au lieu de poser clairement les choses sur la table, on a conçu Oslo comme un processus où l’on règlerait les questions au fur et à mesure. Résultat : on ne voyait pas vers quoi on allait.

C’était l’approche de l’épicerie : on marchande, au bout d’un moment,  chacun connaît la psychologie de l’autre et essaie de tirer le maximum d’avantages. C’est sans fin…

Or, la bonne approche, c’est celle du supermarché : il y a un produit, un prix et c’est à prendre ou à laisser. On n’est peut-être pas complètement satisfait par le produit, mais on sait ce que l’on achète et ce que cela coûte.

 

C’est ce qui a guidé le projet de règlement final que vous avez élaboré avec Ami Ayalon, l’ancien chef du renseignement israélien?

Nous avons pris cette initiative en 2002, après l’échec du sommet de Camp David (entre Yasser Arafat et Ehoud Barak), afin d’établir ce produit de supermarché.

Nous avons défini point par point –le sort des réfugiés palestiniens, les colonies juives, le partage de Jérusalem, les frontières…– ce à quoi devrait ressembler la solution (1).

Arafat était au courant, il ne me l’a pas interdit. Ayalon savait qu’il allait à l’encontre de ce que pensaient les dirigeants israéliens.

Malheureusement, l’erreur d’Oslo a été répétée par la communauté internationale avec l’adoption, en 2003, de la « Feuille de route », qui de nouveau proposait un processus par étapes.

 

 

Les Palestiniens ont essayé la négociation, puis le soulèvement armé avec la seconde Intifada. Mais Israël est militairement infiniment supérieur… Vous prônez la non-violence. Par réalisme ? 

Attention aux idées reçues ! Que signifie la supériorité militaire d’Israël ? Oui, ils ont l’arme atomique et des avions de combat. Mais à quoi cela sert-il face aux Palestiniens ? Au final, c’est un mur en béton qu’ils ont construit pour se séparer de nous…

La preuve que la solution n’est pas militaire, c’est qu’en 65 ans de guerres, Israël n’a pas réussi à nous mettre sous l’éteignoir. Ils ont beau dire qu’en 1967 ils ont gagné la guerre et conquis des territoires, ils ont perdu une occasion unique d’être un Etat indépendant avec des frontières reconnues.

En ce qui nous concerne, nous, Palestiniens, je pense que la non violence est la seule solution.

 

La non-violence, cela recouvre quel type d’actions? 

Beaucoup de choses : cela peut vouloir dire manifester pacifiquement contre l’occupation,comme à Bil’in, ou Nabih Saleh. Cela veut aussi dire la ténacité. S’accrocher, vivre, survivre, comme l’ont fait les 400 000 Palestiniens restés en Israël en 1948.  Ils sont aujourd’hui plus d’un million... Ils constituent aujourd’hui une force. C’est une forme de résistance non violente.

 Ils font qu’Israël, par certains aspects, peut devenir une autre Afrique du Sud et subir les mêmes difficultés sur le plan international.

Toutefois, si nous voulons parvenir à une solution, il y a un paramètre indispensable, que nous devons tous avoir à l’esprit : il faut que les juifs, à cause de leur histoire spécifique, ne se sentent pas menacés.

C’est si nous leur donnons le sentiment qu’ils seront en sécurité que nous obtiendrons les meilleurs résultats.

  

Cela débloquerait la situation?

 Non, ce n’est qu’un facteur. Quand vous regardez ce qui guide le leadership israélien, il y a bien sur cette exigence de sécurité.

Mais il y a une autre dimension, c’est leur obsession de l’agrandissement, l’avidité, la négation de l’autre. C’est le moteur de la colonisation de la Cisjordanie. Ils se disent, je peux prendre cette Terre, je peux la voler, personne ne peut m’en empêcher, alors pourquoi ne le ferais-je pas ?

 

C’est ce qui vous amène à dire que la solution n’est plus à deux, mais à un seul Etat? 

L’histoire court parfois plus vite que les idées. C’est ce qui nous est arrivé. Deux Etats, est-ce encore possible? Est-ce viable? Cela vaut-il la peine? La réalité sur le terrain a quasiment rendu impossible la solution à deux Etats. Cela nous oblige à réajuster nos idées et à envisager la solution à un seul Etat. C’est une solution par défaut.

 En 1984, par provocation, j’avais parlé de cette solution à un Etat en disant qu’Israël devrait nous annexer pour de bon et nous donner des droits politiques égaux. Je l’ai fait pour empêcher que ça arrive, parce que je voyais bien qu’on allait vers le point où nous en sommes aujourd’hui.

 Aujourd’hui, quand je dis cela, je le dis dans une autre optique.

Une solution à deux Etats serait bien meilleure, évidemment, mais cela semble une perspective plus éloignée que jamais. Il n’y a pas de pression internationale, pas de leadership américain... qui ait du cran pour l’imposer. Je ne l’exclus pas, on peut toujours croire au miracle, espérer que la communauté internationale et les Etats-Unis s’investissent enfin, et mettent une telle pression qu’Israël cède.

Mais quand vous regardez les choses de manière réaliste, vous voyez bien que la solution à deux Etats n’est plus à l’horizon.

 Un seul Etat, c’est une solution par défaut. Pas excellente, au contraire. Cela signifie encore beaucoup d’années de souffrance, douloureuses; avant de parvenir, peut être, à une bonne solution.

 

La solution à un Etat, c’est donc celle de la résignation?

Il faut bien s’adapter à la réalité! C’est un pis-aller. Ce sera un seul Etat avec un oppresseur et un oppressé, où les Israéliens auront le droit de vote et les Palestiniens seulement des droits civils, pas les droits politiques, un peu comme les habitants palestiniens de Jérusalem, qui sont des résidents, mais pas des citoyens. Il ont au moins un permis de circuler, le droit à l’éducation.

Ce serait déjà mieux que la situation actuelle. Avec le temps, nous obtiendrions des droits, peut être que cela aboutirait à une sorte d’Etat fédéral avec deux communautés... Ce serait un long processus historique jusqu’à l’égalité

 Peut être qu’un jour le miracle arrivera, dans cinq ans, dans dix ans... Mais ce qui importe, c’est qu’en attendant, nous, Palestiniens obtenions des droits basiques (liberté de mouvement, droit à l’éducation...). Nous serions reconnus peut être comme citoyens de deuxième classe, mais au moins comme des êtres humains.

Au moins vivrions-nous moins mal que sous la brutalité de l’occupation, qui ne nous reconnaît aucun droit, mais qui nous vaut les descentes de l’armée, l’abattage de nos oliviers...

 Mais cela ne veut pas qu’on renoncerait à nos droits à long terme.

Je ne vois pas pourquoi la communauté internationale n’imposerait pas au moins cela à Israël.

  

Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, essaye de ressusciter des négociations de paix...

Peut être que Kerry et Obama sont sérieux. Peut être même qu’ils vont réussir à ramener les deux parties à la table des négociations. Mais je ne suis pas sûr qu’une négociation qui commencerait ainsi mènerait quelque part.  Tant qu’on ne mettra pas un plan précis sur la table, tant qu’on va négocier sans mentionner Jérusalem, en mettant de côté la question des réfugiés, etc. eh bien, ce sera un autre Oslo! 

 

Comment imposer un tel plan ?

 Il faudrait poser un tel plan, basé peu ou prou sur les cinq principes qu’Ami Ayalon et moi avons définis (1), et mettre les deux leaderships en demeure de consulter leur population sur cette base.

Autrement dit, un référendum côté israélien et, côté palestinien, une élection présidentielle ou Abou Mazen (Mahmoud Abbas) se présenterait avec ce plan comme programme électoral.

Si la communauté internationale dit approuvez ce plan et vous aurez toute l’aide nécessaire pour le mener à bien, alors ça peut marcher.

 

 1. Le plan Nusseibeh-Ayalon du 27juillet 2002 prévoyait : 

  • deux Etats pour deux peuples.
  • des frontières basées sur les lignes du 4 juin 1967
  • Jérusalem, ville ouverte et capitale des deux Etats
  • le retour des réfugiés palestiniens uniquement dans l’Etat palestinien
  • un Etat de Palestine démilitarisé.