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Sari Nusseibeh : Palestine et Israël, deux Etats sur un même territoire ", by Anne Guion, lavie

Des Palestiniens constatent les dégâts de leur maison après le raid aérien de l'armée israélienne à Gaza, le 10 mars © Mohammed Abed / AFP
Des Palestiniens constatent les dégâts de leur maison après le raid aérien de l'armée israélienne à Gaza, le 10 mars © Mohammed Abed / AFP

Alors que de nouvelles violences sont réapparues ce week-end en Israël-Palestine, nous avons interrogé Sari Nusseibeh, président de l'université Al-Quds (la seule université arabe de Jérusalem), profondément engagé dans la recherche d'une résolution pacifique au conflit israélo-palestinien. Pour lui, la solution est d'instituer deux Etats sur le même territoire.

Un nouveau cycle de violence semble avoir commencé en Israël Palestine. La mort, vendredi 9 mars, du chef des Comités de résistance populaire (CRP), un mouvement qui prône la lutte armée contre Israël, tué lors d'un "assassinat ciblé" mené par l'armée israélienne dans la Bande de Gaza, a entraîné une riposte palestinienne. Plus d'une centaine de roquettes ont été tirées de Gaza vers le territoire israélien. La réaction israélienne qui a suivi a provoqué la mort de 21 palestiniens.

Pourtant, certains continuent d'imaginer des solutions au conflit. Nous avons ainsi choisi de donner la parole à Sari Nusseibeh, professeur de philosophie arabe médiévale et président de l'université Al-Quds, la seule université arabe de Jérusalem. Profondément engagé dans la recherche d'une résolution pacifique au conflit israélo-palestinien, ce Palestinien a publié l'année dernière un livre intitulé What is a Palestinian State worth ? (A quoi bon un Etat palestinien ?) qui a fait grand bruit. Il vient de publier en France Une allumette vaut-elle toute notre philosophie ? (Flammarion, 16 euros).

Sari Nusseibeh développe dans ces deux livres l'idée que les deux parties auraient peut-être intérêt à trouver un compromis en permettant aux Palestiniens d'obtenir un statut de résidents en Israël. En contrepartie, ceux-ci n'y jouiraient pas des droits politiques. Arrêtons de gloser, dit-il, sur une solution définitive qui contenterait tout le monde mais essayons d'améliorer les conditions de vie de chacun. Pour lavie.fr, Sari Nusseibeh va plus loin et nous décrit sa vision du vivre ensemble entre les deux communautés : un condominium, soit deux Etats sur un même territoire.

Pourquoi proposez-vous cette solution, aujourd'hui ?

La solution des deux Etats géographiquement séparés n'est plus réalisable aujourd'hui. Plusieurs raisons expliquent cela. La principale est qu'un fossé s'est creusé entre cette idée et la réalité du terrain. L'Etat palestinien devrait être défini selon la ligne de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Or, il y a aujourd'hui 500 000 colons israéliens, vivant en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Cette réalité est difficile à changer. Ce serait fou d'ailleurs de demander à tous ces gens de partir. Les colons ont appris à considérer cette terre comme la leur, des enfants y sont nés. Même chose pour Jérusalem-Est. Il est aujourd'hui impossible d'en faire la capitale palestinienne. Nous sommes dans une impasse. Alors, que faisons nous ? Si nous laissons faire, les choses vont empirer. Peut-être pouvons-nous partir de l'existant et transformer une situation mauvaise en quelque chose de bon ?

Mon avis est qu'il faut revenir au plan de partage de la Palestine des Nations Unies de 1947. A cette époque, l'ONU avait organisé un comité spécial chargé de trouver des solutions pour la Palestine. Celui-ci était composé de 11 Etats membres. Le résultat de leur discussion fut l'idée du partage. Mais trois d'entre eux n'étaient pas d'accord et prônaient la création d'une fédération, d'un condominium. Il s'agissait de la Yougoslavie, de l'Iran et de l'Inde qui ont exposé leur point de vue dans un rapport, le "plan des minoritaires". Ce n'est pas un hasard si l'Inde faisait partie des réfractaires. Les Britanniques à cette époque poussaient les Indiens à la division du pays. Mais les Indiens et, Gandhi en premier lieu, étaient convaincus qu'il était possible pour les musulmans, les sikhs et les hindous de vivre ensemble. L'idée n'est pas nouvelle.

Qu'entendez-vous concrètement par condominium ?

Il ne s'agit pas de la solution d'un seul Etat, car, malheureusement, ni les Israéliens ni les arabes ne le désirent. Chacun veut son propre cadre politique. Donc, la question à un million de dollars est celle-ci : ne pourrait-on pas imaginer, dans le futur, deux Etats coexistants au sein du même pays ? Deux peuples vivants sur un seul territoire mais liés à deux ordres politiques différents. Soit, un condominium dont les fondements seraient l'égalité entre les deux peuples et la liberté, pour chacun. Deux principes qui constituent le fondement moral et éthique de n'importe quel Etat. Il s'agirait d'une forme particulière de fédération, dans laquelle il y aurait un Etat auquel les juifs pourraient s'identifier avec un gouvernement qui s'occuperait de leurs problèmatiques spécifiques. Et un autre Etat pour les Palestiniens. Mais les prérogatives de ces deux Etats se croiseraient. Ensemble, les deux Etats géreraient ainsi les domaines importants pour les deux peuples comme le tourisme, une source importante de revenu, l'eau, ou l'électricité, etc. Ce schéma serait reproduit au niveau local dans les villes dont la population est mixte, comme Haïfa ou Nazareth, où certains domaines seraient gérés en coordination et d'autres séparés, comme les fêtes religieuses. Ce serait alors du gagnant-gagnant.

Qu'en pensent les Palestiniens et les Israéliens ?


Ils ne sont, bien sûr, pas encore prêts à accepter cette idée. Les deux peuples sont prisonniers de ce que j'appelle des paradigmes préexistants. Les Juifs veulent un Etat juif et en ont une image précise. Les Palestiniens veulent leur Etat national. Or, tout le monde a essayé d'y parvenir, mais nous avons tous échoué ! Nous devons nous confronter aujourd'hui à cet échec. Il faut désormais sortir de ces prisons mentales et nous poser la bonne question : A quoi sert un Etat ? Quel est son but ? De mon point de vue, l'Etat est un moyen et non une fin en soi. Il est un outil pour nous donner une vie meilleure : travailler, envoyer nos enfants à l'école, enrichir nos vies. Si nous sommes d'accord avec cela, cette solution ne peut pas être un problème.

Paradoxalement, Je pense qu'à l'avenir, cette idée pourrait attirer davantage de personnes que la solution des deux Etats géographiquement séparés. Je pense à tous ceux pour qui la notion de territoire est plus importante que celle d'Etat. Comme... la droite israélienne et les colons ! mais aussi du côté palestinien, les réfugiés qui ont dû quitter leur maison et rêveraient de revenir. Avec deux Etats séparés, la question du droit au retour des réfugiés palestiniens est impossible à régler. Alors que le condominium ouvre des possibilités jusqu'ici inexplorées.

La principale inquiétude des Israéliens sera bien sûr la sécurité. L'Etat palestinien, au sein de ce condominium, devra s'engager à ne pas nouer d'alliance avec les ennemis jurés d'Israël. Pour ce qui est de l'armée, je pense qu'il faut que celle-ci reste le domaine de l'Etat israélien, même si, selon moi, l'escalade sécuritaire est une erreur. Ce n'est qu'en établissant des relations saines avec nous les Palestiniens qu'Israël obtiendra un jour une sécurité durable.

Combien d'années seraient nécessaires pour y arriver ?

Vais-je le voir de mon vivant ? Je ne sais pas. L'important est d'y aller progressivement. Il faut bien sûr une feuille de route. Doucement, développer l'Autorité palestinienne et la renforcer tout en donnant aux Palestiniens des droits civils basiques, la liberté de circulation, d'expression. Mais attention, je ne prétends pas détenir LA solution. Je crois que face à l'impasse, de nouvelles idées doivent jaillir et se répandre. Peu à peu, Il faut que les gens se saississent de cette idée, la combinent avec d'autres propositions.

N'est-ce pas une façon d'entériner l'annexion de la Cisjordanie par Israël ?

Si cela revient à une forme de capitulation morale ? Au contraire, je pense que cette approche est moralement plus forte puisqu'elle s'appuie sur l'idée que l'humain peut changer le cours de son destin. Face à l'obstacle, il faut le contourner, le transcender. Si les Palestiniens s'engagent dans cette voie, il feront la preuve de leur force morale.